Ugly-Pretty

Le label Neith Nyer, étoile montante de la mode basé à Paris et fondé par le designer Brésilien Francisco Terra, nous livre une vision moderne et rafraichissante de la mode féminine tout aussi glamour qu’Ugly-Pretty.

29.08.2018 Par Matthew Hicks traduit de l'anglais par BuG

Neith Nyer FW19 photo by @johannes_erb_

La quête qui consiste à trouver de nouvelles formules aux fins de transformer le commun en sublime est tout aussi ancienne que l’alchimie. C’est un désir qui a traversé les âges, depuis le pop-art ou le post-modernisme et jusqu’à la démarche du designer Francisco Terra, le cerveau Brésilien derrière le label saturé d’ironie, challenger d’ores et déjà classé du Glam, qu’est Neith Nyer.

Monsieur Terra est tombé dans la mode : un amour de ses vingt ans a guidé ses pas en France où il a lancé sa maison – baptisée du nom de sa grand-mère qui lui a offert sa première machine à coudre « Singer » et lui a appris les rudiments de la construction d’un vêtement -. « J’ai eu une relation amoureuse Parisienne pendant onze années et cette ville est devenu mon port d’attache. Créer à Paris est très important à mes yeux au regard des sources d’inspirations innombrables offertes par la ville; c’est un endroit très riche culturellement, ce qui n’a pas de prix ».
Francisco est un des finalistes du prix de l’innovation 2018 décerné par le prestigieux jury Parisien ANDAM (Martin Margiela, Christophe Lemaire, Viktor & Rolf ayant été parmi les lauréats précédents, et plus récemment Atlein, Y/Project ou Anthony Vaccarello). À la différence de beaucoup d’autres prix de jeunes créateurs qui se bousculent dans le calendrier de la mode (souvent de simples évènements promotionnels revêtus d’un sceau luxueux certes mais toutefois lié à une entité sociale), la carrière des lauréats de L’ANDAM est attentivement suivie et faire partie des finalistes représente un honneur unique et la validation d’une excellence créative.

« Je crois qu’il y a de la beauté en toute chose, il suffit de la contempler attentivement avec le temps nécessaire. »

En terme de créativité, Neith Nyer se nourrit des rêves du jeune Monsieur Terra qui dévorait les pages glacées et luxueuses des magazines (quelqu’en soit le sujet : magazine pour teenagers cariocas ou bibles de la Couture Parisienne). Y-a-t-il une inspiration qui lui paraisse trop élémentaire ou bien douteuse pour être insufflée ? « Non, je crois qu’il y a de la beauté en toute chose, il suffit de la contempler attentivement avec le temps nécessaire. Finalement, la perception est aussi quelque chose de très intime, surtout quand il s’agit de la mode. Cela me permet de croire qu’il y a une place pour chacun dans cette industrie et il est temps d’accorder de l’importance à ce que l’on fait plutôt que passer sa vie à examiner les autres. Ça laisse moins de place à la controverse ».
Le « gender-fluid » ou l’absence de genre est une des caractéristiques que l’on prête au travail de Francisco Terra. Est-ce un critère qui requiert une approche particulière dans votre processus créatif? « Non, selon moi les gens sont tels qu’ils souhaitent être, naturellement, par conséquent le processus de création du vêtement, le casting puis la phase de fitting avec les modèles sont très organiques. Nous laissons très souvent de la place aux modèles afin de voir comment ils perçoivent le look et s’ils se sentent bien. On le comprend à leur yeux, à la manière dont ils se regardent dans le miroir. C’est un process très naturel. » Monsieur Terra est un jeune designer à l’orée de sa grandeur. Il est entouré d’une poignée d’assistants et dirige un petit atelier au nord de Paris. Nous avons demandé à Francisco Terra s’il avait des conseils à prodiguer aux jeunes dont l’ambition est de se faire une place au sein du monde sans merci de la mode Européenne, sa réponse est simple : »Soyez vous-même en permanence et restez fidèles à vos racines parce qu’elles définiront la sincérité du ton qui émergera de votre travail. Un label qui se montre honnête et passionné possède d’ores et déjà un atout de plus vers le succès. » Et l’aspect le plus désagréable de l’industrie de la mode? « Le fait que vos relations soit plus importantes que votre travail… »
Beaucoup d’influences et de références constituent le pouls d’une collection Neith Nyer, chacune étant intime ou temporelle, il est impossible pour un observateur critique de les isoler ou bien même de les identifier. En effet, Francisco Terra ne semble aucunement se raccrocher aux sources d’inspiration classiques de la mode (décennies, films, actrices, etc…) La globalité de son travail semble totalement unique et auto-référentielle. « Je commence une collection en feuilletant mon agenda personnel : je revisite énormément d’albums de photos de famille, j’accumule énormément d’éléments à l’occasion de mes voyages, notamment au Japon et – le plus important – j’observe constamment les gens autour de moi. »

« Ce que chaque collection a en commun est un maximalisme jubilatoire et tapageur, composé de références visuelles tirées du registre esthétique du vieux Hollywood en passant par celui de la Couture Parisienne… »

L’appétence de Monsieur Terra pour l’inspiration est insatiable. Les collections précédentes sont tout aussi susceptibles d’inclure la nudité tachycarde que suggère un voile, que des flashs de topless étreints d’un certain dégingandé décalé : quelque chose de semblable à ce que les Anglais qualifient de « Pretty-Ugly » ou jolie-laide. On est face, ici et là, à des corsages éblouissants ou des franges de cuir aguicheuses qui jaillissent sous d’autres regards, tout aussi rigoureusement détachés qu’intellos. Mais ce que chaque collection a en commun est un maximalisme jubilatoire et tapageur, composé de références visuelles tirées du registre esthétique du vieux Hollywood en passant par celui de la Couture Parisienne et enfin des repaires de bidonvilles d’un pays en voie de développement.
Monsieur Terra a travaillé pour les Nations Unies. Est-ce que ce travail a eu une influence sur sa sensibilité? « Je travaillais au sein de l’ITC (international trade center) dans les services de séance des marchés, en particulier pour les projets orientés sur le développement du secteur de la mode à destination de douze pays africains francophones. Le développement du textile par exemple. Cela m’a ouvert les yeux sur le champ de possible que la mode peut apporter, et sur le fait qu’il y a effectivement un souffle créatif en dehors des grandes capitales de la mode et du microcosme privilégié dans lequel nous vivons. »
En dehors de Paris c’est à Tokyo que Monsieur Terra se sent le plus à l’aise, « Parce que j’ai grandi avec un univers de mangas et que parmi mes amis beaucoup sont Japonais. Je vais régulièrement au Japon et je m’y sens vraiment bien. C’est un peu une seconde maison. Chacune de mes collections a un peu du Japon. »
Chaque collection semble être constituée d’un peu « d’absolument tout ». Une des caractéristiques du travail de Francisco Terra partagée par toute personne dotée d’une culture visuelle profonde: elle suggère tout autant de questions qu’elle n’y réponde.

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